L’absentéisme, le grand absent du Ségur de la santé

L’hôpital a montré qu’il savait se mobiliser, s’organiser et dépasser les conflits d’intérêts. Il a effacé, du même coup, toutes les critiques qui pouvaient être faites à la profession ; envolées aussi les revendications, les grèves ; honorés tous les soirs par des fenêtres et des balcons, on en a presque oublié la souffrance passée, les repos reportés, les heures supplémentaires impayées, la complexité d’avoir une vie privée dans les établissements de santé et l’absentéisme chronique qui y règne.

L’absentéisme cause un dysfonctionnement dans l’unité organisationnelle dans laquelle il intervient. En conséquence l’organisation produit une charge de travail supérieure pour tenter de compenser l’absence.

C’est cette « Charge de travail supplémentaire » qu’il faudra quantifier : en temps, en humain, en coûts additionnels.

Cause et conséquence, c’est ce que montrent les chiffres de l’absentéisme qui n’ont de cesse d’augmenter.

L’absentéisme est ici la cause du dysfonctionnement, qui engendre la désorganisation du service, impacte la qualité du des soins et concours à augmenter la charge qui repose sur les présent et a pour conséquence d’être une des sources d’absentéisme.

Cela représente un coût caché moyen de 4.059€/salarié/an[1] ; coûts cachés de l’absentéisme, ou pertes de valeur ajoutée, qui ont des poids différents selon les secteurs d’activités :

  • 3.521€/salarié/an dans le privé sur 21,3 millions d’actifs
  • 6.223€/salarié/an dans le public sur 5,3 millions d’actifs

Cause et conséquence, le coût de l’absentéisme est estimé à 108 milliards d’euros en 2018 en France[2], soit l’équivalent du « budget de l’Éducation nationale qui part en fumée chaque année »  [3] !

En ce qui concerne le taux l’absentéisme il est de 5,1% par an en France.

Dans le secteur public l’impact est encore plus prégnant : le taux d’absentéisme s’élève à plus de 8% par an[4].

Dans le secteur de la santé les chiffres s’envolent avec un « taux moyen d’absentéisme des personnels soignants pouvait avoisiner les 10 %, soit environ 30 jours d’absence par agent et par an »[5].

Avec un tel poids d’absentéisme, a-t-on encore les moyens suffisants pour garantir les missions sociétales des entreprises en général et de l’hôpital en particulier ?

L’entreprise « Hôpital » au sens large[6] comptant 998.693 salariés ETP (dont 746 439 dans le secteur public), on peut tenter d’en déduire que le coût moyen de l’absentéisme dans les établissements de santé est de 5,53 Milliards €/an, pour les établissements de santé publics et privés du territoire, soit :

746.439ETP x 6.223€ = 4,65 Milliards €/an, pour les établissements publics de santé

et

252.254ETP x 3.521€ = 0,88 Milliards €/an, pour les établissements privés de santé.

Avec un tel poids financier d’absentéisme, l’Hôpital au sens large a-t-il encore les moyens suffisants pour garantir ses missions qui sont, selon la définition du code de la santé publique : la prévention, l’enseignement universitaire et post-universitaire, la recherche, la qualité des soins et la sécurité sanitaire ?

Que représentent ces coûts : coûts directs, indirects, et autres « coûts induits » et « coûts cachés » ?

Que faut-il prendre en compte si vous voulez mesurer l’impact financier, humain et temps passé que va générer une absence ?

Un tiers de ce montant est dit « normal » et incompressible en relation avec les congés maternité, les maladies saisonnières de courtes durées ainsi que les accidents du travail inévitables (à mettre en opposition avec les accidents du fait de la cadence de travail ou du stress que fait peser l’organisation sur le salarié).

Il reste tout de même dans l’administration des établissements de santé 3,6 milliards d’euros de coûts « évitables » ! Évitables mais cachés !

Vous ne trouverez ces lignes de charges dans aucune comptabilité analytique. Seul un management de proximité pourra relever ces fêlures dues à l’absentéisme :

  • les salaires versés aux absents, complément de salaires selon les régimes sociaux …
  • les « sur-salaires » lorsqu’une activité est réalisée par une personne titulaire d’une fonction mieux rémunérée que celle qui devrait l’assumer,
  • le temps passé par l’équipe pour corriger les dysfonctionnements liés aux absences,
  • le temps passé par le management, la direction et les RH pour rechercher et sélectionner les services externes et pallier les absences,
  • le coût de l’achat de ces services externes supplémentaires,
  • les coûts liés aux dysfonctionnements engendrés : en termes d’organisation, de formation des ressources externes et les erreurs induites,
  • les « sur-temps » qui sont la somme des temps passés pour la régularisation des dysfonctionnements, la formation, l’accompagnement et le temps d’apprentissage,
  • les pénalités qui peuvent être dues par ne non-respect des livrables à temps,
  • la non-production : la part de travail des absents non pris en charge ni par les présents ni par les services externes et laissé en suspens,
  • la non-création de valeurs,
  • les pertes d’opportunité avérées de renouveler le potentiel de performances futures,
  • la perte de performance de l’entreprise, du service ainsi que des personnes qui interrompent leurs tâches pour atténuer les effets de l’absentéisme,
  • les risques de surcharge des présents et les maux dont ils pourraient être l’origine : accident du travail dû à la fatigue, les surcharges cognitives, les épuisements Professionnels, burnouts et autres risques psycho-Sociaux,
  • l’accumulation de l’ensemble de ces points qui va dans le sens de l’augmentation de l’absentéisme dès l’instant où l’on ne s’occupe pas d’en traiter les causes profondes[7].

Ces chiffres, s’ils étaient mesurés et entrés dans des tableaux de comptabilité analytique, démontreraient, s’il le faut, le lien entre Qualité de Vie au Travail (QVT) et productivité. « L’ancrage économique de la QVT permettrait également d’assurer le lien de corrélation probable entre un niveau de QVT élevé et un absentéisme réduit »[8].

Mais tous ces chiffres ne figureront dans aucun tableau de rentabilité des organisations s’ils ne sont pas pris en compte ! Ce ne sont donc pas des charges pour les « organisations malveillantes ».

Consultez l’article complet co-rédigé avec Guillaume Treves dans le n°133 RH-Santé Décembre 2020 ou avec le lien suivant : https://drive.google.com/file/d/1znKhveGBSPfveO5fLk-xaNvqbBSECOCS/view?usp=sharing


[1] Étude « sur l’origine et le coût de l’absentéisme en France ». Co-auteurs : Laurent Cappelletti, directeur de programme à l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor), et Henri Savall, président-fondateur de l’Iseor. Publiée par l’Institut Sapiens, un think tank libéral le 22 novembre 2018. https://www.institutsapiens.fr/le-cout-cache-de-labsenteisme-au-travail-108-milliards-e/

[2] Laurent Cappelletti, directeur de programme à l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor), et Henri Savall, président-fondateur de l’Iseor. Les deux hommes sont les coauteurs d’une étude « sur l’origine et le coût de l’absentéisme en France » publiée par l’Institut Sapiens, un think tank libéral. https://www.institutsapiens.fr/le-cout-cache-de-labsenteisme-au-travail-108-milliards-e/

[3] https://www.institutsapiens.fr/le-cout-cache-de-labsenteisme-au-travail-108-milliards-e/

[4] Le parisien, 22/11/2018 : https://www.leparisien.fr/economie/l-absenteisme-au-travail-coute-pres-de-108-milliards-d-euros-par-an-21-11-2018-7949124.php

[5] Politique & management public, Vol 29/3 | 2012 – Al.57, 58, 59, 60 et 61

[6] Source SAE 2018 public et privé

[7] Cabinet Digi Paye – vrais coûts de l’absentéisme : https://www.digi-paye.com/fr/blog/absenteisme-quel-est-le-vrai-cout-pour-l-entreprise

[8] Page 29 de l’étude« Prenons soin des professionnels de santé », chapitre  « Accompagnement des professionnels pour une meilleure QVT» par Alexandre Fournier, Chef du bureau Organisation des politiques sociales et développement des ressources humaines, Direction générale de l’offre de soins (DGOS), sous-direction Ressources humaines